ONE MAN SHOW. MADRID. October 2004.

GALERÍA ANTONIO MACHÓN.

C/ Conde de Xiquena, 8. 28004 Madrid (Spain).

 

CIELS TRANSFIGURÉS.

Alberto Reguera vit selon l'expression consacrée entre Paris et Madrid ou plutôt à Paris et à Madrid, l'entre deux étant représenté par son travail. Qu'est-ce qui a attiré dans le Paris des années 1980, ce jeune artiste castillan? Avant tout la recherche de ses racines culturelles et de ses premières influences, l'abstraction lyrique de la peinture française des années 1950, Schneider, Hartung, Kijno, Olivier Debré. Il a d'ailleurs exposé plusieurs fois en leur compagnie dans des galeries et au Grand Palais, où se tiennent de nombreuses grandes expositions qui attirent un public nombreux. Il conserve sa première galerie de la rue de Seine à Paris, Olivier Nouvellet chez qui il expose depuis 1984. A Paris, il a reçu en 1995 le prix de l'Académie des Beaux-Arts et à Madrid, l'Ojo Crítico en 2001.

Mais ses séjours parisiens lui servent aussi à nourrir son énergie émotionnelle, entièrement tournée vers son art. Ses premiers voyages ont probablement été motivés par la quête de la solitude de l'expatrié, projeté dans une ambiance et un milieu différents, Iivré à lui-même et par…? là même, libéré Son désir des contrastes l a conduit, depuis l'annee 2000, à éclater ses références et à voyager en Europe et aux Etats-unis Depuis sa dernière exposition à la galerie Antonio Machón, à Madrid, en 2001, il a exposé à Londres, Hambourg, Zurich, Lisbonne, Bruxelles, Amsterdam et Paris. Il a également été le seul peintre espagnol à participer en 2003 à « Exit E », ce que l'on appelle « la biennale de Washington ».

Ce choix d'une vie partagée entre deux capitales, à la fois proches et très différentes, son goût des voyages, obéissent à une volonté de ne pas s'installer, de se situer dans une ambivalence hors cadre. Mais qu'il travaille à Paris ou à Madrid, son oeuvre n'est jamais citadine. Sa conception du monde, ses paysages abstraits, échappent totalement à l'environnement urbain, comme si le peintre de son atelier mmadrilène ou parisien, se projetait dans l'avant ou dans l'après Big Bang, pour appréhender les quatre éléments de la Création, en dehors de toute présence humaine, sans faune ni flore, même si parfois l'imagination du spectateur peut déceler des silhouettes fantasmagoriques, deviner les ruines altières d'une cathédrale ou entrevoir une cité naufragée au milieu d'algues et de roseaux.

Cette nouvelle exposition est moins tellurique et plus atmosphérique que les précédentes, comme si Alberto depuis la fenêtre ou lors de ses promenades dans les deux villes, ne retenait que la lumière et le ciel, les nuages, les « merveilleux nuageux » témoins du spleen baudelairien. Les ciels de Paris et de Madrid ont toujours été non seulement pour les artistes mais plus simplement pour leurs habitants, objet d'émerveillement. L'instensité bleu métallique du ciel de Madrid sous le soleil, la lumière argentée d'un ciel gris parisien gorgé de pluie, ont fait naître chansons et proverbes, cartes postales et graffitis, instantanés de la créativité populaire. «De Madrid al cielo» disent les Espagnols, quand Edith Piaf, Juliette Greco ou Yves Montand chantent ce ciel de Paris « et tout un peuple épris de sa vieille cité ».

Cet élan instinctif se retrouve chez le peintre, mais travaillé à l'extrême, reflété dans
l'utilisation de textures métalliques, dans la composition impeccable, quasi classique, et la maîtrise absolue du hasard.

Les nuages sont partout présents, fragments météorologiques poussés par les orages ou flottant dans des ciels dégagés. Ils semblent provenir de la mémoire respectueuse du peintre pour les oeuvres du norvégien Johan Christian Dahl, de Caspar David Frledrich, de Turner ou de Constable. Ce sont les mêmes ciels mais transfigurés par un regard moderne, des techniques et des matériaux contemporains, acétate de polyvinyle, pigments métalliques, acryliques, résines…

Des constellations d'étoiles noires traversent d'inquiétants ciels blancs plombés, des nuages sombres se déplacent à travers des ciels de nacre, des étoiles de lumière blanche fusent sur des ciels d'azur intense. De fines couches veloutées succèdent à des ciels lourds, des ciels de pierre, intenses et immobiles comme des murs ou des parois, glacés, gelés, givrés.

L'utilisation des pigments métalliques argentés, irisés, donne la sensation de lumières vibrant dans le lointain. La poésie s'introduit aussi dans l'utilisation de couleurs inattendues, proches des nuits cristallines ou des premières heures de l'aube.


Le peintre travaille les matières et les textures, par couches superposées, qui laissent entrevoir la lumière et les couleurs des strates précédentes, il se sert de flottages pour donner la sensation de reliefs, fait tourner la toile dans différentes positions et verse à chaque tour de nouveaux pigments, d'autres couleurs qui lui permettent de créer ces jeux de transparentes, de lumière et d'ombres, des espaces de profondeur et de mystère traversés par des matières flottantes, en suspension.

Certains tableaux sont divisés en deux, les étoiles blanches situées en haut du tableau contrastent avec des ombres de couleurs sombres dans le bas, comme du bleu de Prusse velouté l'argent en contraste sur le bleu foncé, bleu électrique ou « bleu Klein ». Cette composition fait penser à Rothko à qui le peintre a dernièrement consacré une série intitulée «noveaux ciels rothkianiens».

Une des caractéristiques de cette nouvelle exposition est l'emphase que met l'artiste à déborder de la surface principale de la toile, les atmosphères s'étirent ou se prolongent sur les tranches pour maintenir l'intensité et donner une impression de profondeur, comme si le regard s'introduisait dans les entrailles du tableau. Des instantanés atmosphériques semblent saisis par le peintre, disséqués, coupés et installés dans des cubes transparents. L'œuvre va au-delà du paysage abstrait romantique et devient un objet en soi.

La sensation de volume s'apprécie plus particulièrement dans les petits et moyens formats, attirant le regard du spectateur sous différents angles, l'intensité se révèle petit à petit. Les grands formats apportent une autre réflexion lorsque le peintre fait fuser sur la toile avec force et rapidité les pigments sur des ciels fraîchement peints. Ou à l'inverse lorsque les pigments vont se dissoudre lentement, doucement sur la matière humide pour des oeuvres moins violentes, plus tranquilles.

Pour qui connaît déjà le travail d'Alberto Reguera, cette exposition vient dans la continuité d'un travail exclusivement consacré à la peinture, extrêmement personnel, marqué par le sérieux d'un artiste qui refuse toute frivolité, toute facilité, toute banalité. Mais une nouvelle force surgit de ces tableaux conduisant le spectateur au rêve, à la songerie philosophique, à l'angoisse et à l'acceptation de la condition humaine.

Martine Silber *


* Martlne Sllber est journaliste et correspondante en Espagne du journal français « Le Monde »